Qui a dit que les réseaux sociaux tueraient le journalisme ? En répondant point par point au Président Donald Trump sur son terrain de jeu favori, le réseau social Twitter, la journaliste Rachel Maddow a prouvé à la planète entière que la diffusion brute de l’information n’est finalement pas grand-chose sans réflexion préalable.
Twitter, l’outil de communication préféré du POTUS
Ce sera l’un de ses héritages : Donald Trump a érigé Twitter au rang d’outil politique – sinon géopolitique – de premier plan. Que ce soit pour infléchir l’opinion, réagir à chaud à un événement ou invectiver ses adversaires, Trump gazouille plusieurs fois par jour, voire par heure.
Fort de plus de 75 millions d’abonnés, le profil @realDonaldTrump est donc devenu un média personnel à part entière : pratique pour faire entendre sa voix et son point de vue à n’importe quel moment du jour ou de la nuit, où qu’il se trouve et sans avoir besoin des journalistes ou autres commentateurs.
Retour de flamme
Quand Donald Trump félicite sur Twitter Rachel Maddow pour son interview du Général Semonite liée au rôle de l’armée dans la crise sanitaire en cours, il ne fait que distribuer une fois de plus les bons et mauvais points aux journalistes dans leur couverture de l’actualité.
Mais cette fois l’élève concernée ne rougit pas candidement devant la récompense. Sans pouvoir concurrencer Trump en nombre d’abonnés, Rachel Maddow est suivie par près de 10 millions d’abonnés sur le réseau social. À 46 ans, elle anime son propre magazine d’information en prime time sur MSNBC, ce qui lui permet une certaine hauteur de vue sur les dossiers brûlants.
Et ceci transparaît dès les premiers mots de son long thread (cette suite de tweets liés les uns aux autres permettant de développer un point de vue sans subir la limitation de caractères) : toujours courtoise et polie, Rachel Maddow commence par remercier le Président Trump d’avoir tweeté son interview. Puis elle nuance tout de suite le point de vue du POTUS en précisant que si le Général Semonite et l’armée font du bon travail, ce dernier reste loin d’être à la hauteur des enjeux.
Onze tweets pour une critique en règle
Suivent alors dix tweets sans concession qui démontreront le caractère bancal de l’organisation mise en place par Donald Trump pour faire face à la crise du coronavirus. « Nous sommes sur le point de voir le nombre de patients malades augmenter », avertit Rachel Maddow, avant de dénoncer froidement : « vous orchestrez personnellement la pire réponse nationale opposée par un pays industrialisé à ce qui est désormais la plus grande épidémie de COVID-19 de la planète ».
Les cinq tweets suivants détaillent alors les fondations d’une réponse efficace à la crise sanitaire liée au COVID-19 : nationalisation des chaînes d’approvisionnement en médicaments, mise en place d’experts et de scientifiques pour piloter la riposte à la pandémie et informer la population, mise en place non équivoque du confinement, prise en compte concrète de la situation des détenus en prison face au virus, besoins immédiats en tests de dépistage… Rachel Maddow pointe une par une les lacunes des réponses (non) apportées par l’administration Trump à la crise sanitaire qui déferle sur l’Amérique.
La conclusion de la journaliste est tout autant chirurgicale que son développement : « Vous ne faites rien de tout cela. Vous échouez sur chacun de ces points, et c’est pire de jour en jour. Trouvez des experts qui peuvent le faire pour le pays et s’il vous plaît, Monsieur, libérez la place », avant de conclure par un lapidaire : « Merci encore d’avoir tweeté cette interview ».
L’avènement d’un journalisme du XXIème siècle
Seize heures après, ce tweet de conclusion a été retweeté plus de sept mille fois et près de trente-trois mille personnes ont cliqué sur « j’aime ». Mais au-delà de son impact et de son audience, au-delà même du sujet crucial dont il traite (une pandémie meurtrière), cette réponse courageuse de Rachel Maddow disperse un peu plus le brouillard qui entoure le métier de journaliste depuis l’avènement d’internet et des réseaux sociaux.
En permettant à chacun(e) de rendre compte de l’actualité depuis son smartphone, les réseaux sociaux avaient relégué aux yeux d’une frange de la population les journalistes au rang de commentateurs logorrhéiques, point de vue que certaines chaînes d’information en continu s’évertuent à encourager.
En onze tweets, ce sont plusieurs années de préjugés et d’anathèmes contre les médias que lave Rachel Maddow : une connaissance des dossiers, un courage remarquable sans agressivité, une volonté de construire et non de détruire, une prise en compte de l’intérêt général avant sa propre carrière… il y a du « J’Accuse » dans cette intervention de Rachel Maddow quand elle se dresse devant le mur implacable d’une institution intouchable.
Et, comme un symbole de notre époque complexe, au pied de ce mur c’est un réseau social, Twitter, qui lui fait la courte échelle.