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L’audace, courage des imbéciles ?

par | Tribunes

18 Nov, 2014

Il y a quelques jours, Jacques Attali qualifiait l’audace de « courage des imbéciles ». Or en 2012 le Président de PlaNet Finance, dans une tribune sur Slate.fr, incitait la France à faire preuve… d’audace.

En ces temps de crise, l’audace est un sujet qui a le vent en poupe : la Cité de la Réussite en a même fait son thème phare les 8 et 9 novembre dernier. Certains lui contestent pourtant son statut de valeur : pour Jacques Attali, président de PlaNet Finance, « l’audace, c’est le courage des imbéciles« .

Le courage des imbéciles ?

Jacques Attali faisait partie des intervenants de l’édition 2014 de la Cité de la Réussite. C’est certainement à sa sortie de l’une des séances que Christophe Vincenzi, chef du service vidéo des Échos, lui a demandé son avis sur l’audace et la définition qu’il lui prêtait. Sa surprise fut à la hauteur de la virulence de Jacques Attali. Extraits.

 » L’audace, cela peut être le comble de la bêtise. C’est un mot dont je me méfie, c’est un mot que j’évite. C’est un de ces mots creux qui ne veulent pas dire grand-chose. Le courage, c’est une caractéristique ; la vision, la volonté, cela a du sens ; l’audace… vraiment, j’associe ce mot à la stupidité.

L’audace, c’est le courage des imbéciles. [Pour faire preuve de] courage, il faut avoir réfléchi à une thèse, à une cause, au moyen de la défendre, c’est se donner les moyens de le faire, c’est se moquer des risques, et ne pas avoir peur, mais en ayant identifié les menaces. […] L’audace dans ce cas-là, ça consiste à foncer dans le tas, et c’est jamais bien ».

Résumons : pour Jacques Attali, l’audace, ce  » courage des imbéciles », consiste à « foncer dans le tas » sans avoir identifié les menaces. C’est un défaut qui s’apparente à la stupidité, voire qui en découle.

L’autre version d’Attali

Sauf que, quand on s’intéresse un peu à la relation que Jacques Attali a entretenue dans le passé avec la notion d’audace, il s’avère que les choses semblent moins tranchées. Il y a un peu plus de deux ans, en août 2012, le même Jacques Attali signait dans Slate – dont il est cofondateur – un papier d’encouragement à destination du gouvernement intitulé « L’audace par nécessité« .

On y découvre qu’en août 2012, pour Jacques Attali, la France

« semble ainsi condamnée à l’aggravation du chômage et de la dette publique et au discrédit de sa classe politique, à moins qu’elle n’ait enfin l’audace de mettre en œuvre les innombrables réformes, très largement identifiées et étudiées, ne coûtant rien, pouvant libérer de la croissance en remettant en cause des rentes de situation ».

Suit alors une liste de mesures pleines de bon sens.

Si donc on lit Attali 2012 à l’éclairage d’Attali 2014, on en arrive à une conclusion sans appel : prêter à la France comme seule issue à son impasse économique l’adoption du « courage des imbéciles » qu’il fustigera quelques mois plus tard, c’est soit remarquablement cruel, soit réellement avant-gardiste. Audacieux, en somme.

L’audace, un moment du courage

Au-delà de l’avis de Jacques Attali, dont on ne peut que respecter par ailleurs et le parcours et la finesse d’analyse, il reste possible de définir l’audace non comme un mouvement d’âme qui s’oppose au courage, mais plutôt qui lui appartient, qui le compose. Certes, Jacques Attali a raison, foncer dans le tas sans réfléchir, sans « identifier ses ennemis », ce n’est pas une valeur.

Mais ce n’est pas l’audace qui répond à cette définition : c’est l’insouciance, ou encore la témérité. La témérité, c’est une absence de peur qui du coup donne des ailes. Le courage, c’est au contraire une force de l’âme qui permet de prendre des décisions à l’encontre du mouvement naturel que crée la peur. Et l’audace, c’est justement ce moment de hardiesse où la force de l’âme qu’est le courage se transforme en action.

Une valeur entrepreneuriale ?

Pour toutes ces raisons, l’audace en tant que valeur – car c’en est une – obtient un grand succès en ces temps où le courage politique fait défaut depuis tant de décennies. Et l’entrepreneur, figure complexe, mais toujours vivace dans l’inconscient collectif, en est l’un des représentants potentiels.

Pour l’économiste Jean-Marc Daniel, interviewé récemment par Les Échos,

« L’entrepreneur est un personnage clé parce qu’il invente l’avenir, alors que souvent les chefs d’entreprise prolongent le présent. Laissons, parmi ces entrepreneurs, les fous et les audacieux s’exprimer  ! »

Et quand on interroge les Français, ainsi que l’a fait Ipsos il y a quelques jours, leur réponse est sans appel : ils sont 64 % à penser que l’on manque d’audace en France, et systématiquement plus de 82 % à la trouver utile dans les principaux domaines de l’existence. Cerise sur le gâteau, pour 68 % d’entre eux, les dirigeants des petites entreprises appartiennent à la catégorie des audacieux, juste après les scientifiques et les artistes.

Espérons seulement qu’ils n’en tirent pas à propos des chefs d’entreprise les mêmes conclusions que Jacques Attali. Celui de 2014.

Article publié dans Le Cercle Les Echos.

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Auteur de l’article :

Stéphane Ozil