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« Joy », ou l’itinéraire chaotique d’une innovation

par | Tribunes

19 Mai, 2016

Joy, film de David O. Russell sorti en 2015, raconte l’histoire vraie de Joy Mangano (Jennifer Lawrence), mère célibataire de deux enfants, inventrice dans les années 1990 du balai-serpillière auto-essorant Miracle Mop. Et derrière la fresque sociale et la success-story à l’américaine se dévoile en filigranes des embûches loin d’être propres à Joy Mangano.

L’entrepreneure, figure de l’anti-patron

En ces temps troublés où des manifestants pourtant auto-proclamés « pacifiques » brandissent des pancartes évoquant la pendaison généralisée des patrons, le film Joy repositionne la figure de l’entrepreneure comme le meilleur antidote à la « patronnite ».

Joy c’est en effet avant tout l’histoire d’un drame social américain ordinaire – et les premières minutes du film ne se privent pas d’en explorer la moiteur : entre un ex-mari installé au sous-sol en colocation avec son père, une mère dépressive en immersion constante dans sa série télé préférée, ses deux enfants et sa grand-mère (rare figure bienveillante du film), le spectateur rencontre Joy dans un milieu familial aride et cloisonné, bien loin des rêves d’enfance nourris par l’héroïne.

C’est donc bien la figure de l’entrepreneure pro-active – archétype de la self-made-woman – qu’incarne Jennifer Lawrence dans ce film. Sur une idée, une invention, elle parvient à placer le levier qui la hissera hors de sa condition. L’entreprise, premier ascenseur social, premier vecteur de méritocratie : nous sommes loin ici d’un patronat de caste et des salaires jugés par beaucoup indécents de Wall Street – ou même du CAC 40.

De l’invention à l’innovation

Du point de vue de l’entreprise, l’un des intérêts du film se trouve dans la chronologie qu’il propose : le spectateur assiste à la naissance d’une idée, à sa transformation en invention, puis en innovation via sa commercialisation.

Et ce dernier point est l’un des leçons du film : une invention ne devient réellement une innovation que lorsqu’elle convainc ses cibles au point qu’elles soient prêtes  à payer pour l’adopter. Or cette étape ne devient souvent une évidence qu’a posteriori et James Dyson, Steve Jobs et d’autres en ont expérimenté le paradoxe.

Une vision peu idyllique de l’entreprise familiale

Autre cliché mis à mal, celui d’un premier cercle familial systématiquement bienveillant et solidaire envers l’entrepreneur débutant.

Certes, dans le film c’est bien vers sa famille (élargie) que Joy se tourne pour trouver les capitaux et infrastructures nécessaires à son grand saut. Mais c’est aussi à cette même famille qu’elle doit les plus terribles épreuves et les doutes les plus profonds, comme lors de cette scène où, suite à un désaveu cinglant des circonstances, son père (Robert De Niro) lui demande pardon de lui avoir laissé croire qu’elle avait l’étoffe d’une chef d’entreprise.

La fin du film ne fait d’ailleurs pas mystère de la portée de ces difficultés en précisant que Joy Mangano a dû faire face, après la période couverte par le film, à plusieurs procès intentés par des membres de sa propre famille.

Pour autant, le film Joy n’a rien d’un mélodrame sociétal : il reste le portrait impressionniste d’une volonté farouche de ne pas céder face à la certitude décevante d’un destin tout tracé. Et si Joy (Jennifer Lawrence) en est l’incarnation, c’est bien l’entreprise qui occupe toute la largeur de l’écran, passerelle exigüe entre réalité trop étroite et un rêve vertigineux.

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Auteur de l’article :

Stéphane Ozil