Le numérique ne peut être un agent de transformation d’une entreprise que s’il est autorisé à l’être. Sinon, il reste un ensemble d’outils, dont l’apparence moderne ne peut durablement compenser des usages qui ne le sont pas tant que ça.
C’est la culture d’entreprise qui est l’agent mutagène : or une culture d’entreprise n’est pas le fait du hasard, mais une conséquence assez directe du dirigeant et du mode de gouvernance.
L’acculturation numérique est donc un élément intangible du business model : un sujet stratégique et multi-dimensionnel, de la responsabilité directe du dirigeant.
La culture d’une entreprise est un élément de son business model
La culture d’une entreprise est l’ensemble des codes informels qui régissent les comportements au sein de cette entreprise mais aussi les modes de fonctionnement, les processus officiels ET officieux de communication et de décision, et ce faisant, la culture a un impact direct sur le modèle économique, l’efficacité et la rentabilité d’une entreprise.
Difficile à qualifier, surtout pour ceux qui la vivent au quotidien, souvent perçue comme intangible, ou réduite à des manifestations ponctuelles et collectives codifiées, elle est loin d’être cet élément éthéré et superficiel qui permet surtout d’en minorer l’impact dans l’esprit des dirigeants.
La culture d’une entreprise participe directement du fonctionnement de celle-ci, et donc de sa capacité d’évolution, d’amélioration et d’intégration de nouveaux modes de fonctionnement.
C’est aussi, en grande partie, une émanation directe du dirigeant, qui transmet par capillarité, de manager en manager, sa façon de faire ou de ne pas faire, et la manière dont il fait les choses : induisant ainsi, sans les verbaliser, un ensemble de codes sur ce qui est autorisé ou tabou, sur quel comportement est favorisé et quel autre rejeté, etc.
Réalité que j’ai pu observer tout au long de mon expérience professionnelle, et dont j’ai pu apprécier toute la variété d’expressions lorsque j’étais Chief Digital Officer d’une ETI internationale : ayant été exposée à tous les niveaux hiérarchiques de l’entreprise, de manière verticale et transversale, du Président à l’infographiste ou au chef de projet, en France et à l’étranger, j’en ai fait le constat de mes propres yeux.
Quelle conséquence la culture a-t-elle sur la transformation digitale de ces mêmes entreprises, et inversement ?
Une vraie acculturation au numérique est un changement de la culture d’entreprise
Une transformation digitale réelle implique une modification (évolution, enrichissement, rupture, création…) de la façon de communiquer, d’échanger, de collaborer, de travailler voire même de décider des individus et des équipes, donc du fonctionnement collectif de l’entreprise sur de multiples dimensions.
Une vraie intégration du digital implique donc une acculturation, un changement progressif de culture : soit il est subi, et la culture change sans qu’on en ait eu conscience, ce qui est rarement de bon augure pour la suite ! Soit il est voulu, et ça doit forcément être un sujet stratégique et donc traité comme tel, vu l’impact réel qu’il aura sur l’ensemble du corps de l’entreprise.
Or ne voit-on pas l’acculturation au numérique, sous prétexte de se généraliser, glisser lentement mais sûrement vers des « projets-type » (hackhathons, startup studios, labs internes) et autres plans de formation RH qui auront probablement autant d’impact que les milliers d’heures de formation à l’anglais ou au management préalablement dispensés et planifiés de la même manière ?
L’acculturation au numérique ainsi « codifiée » est un nouveau type de « team building », dont les vertus seront probablement aussi efficaces sur le business de l’entreprise que ses glorieux prédécesseurs des années 80 et 90…
La culture d’entreprise se décide : c’est un acte de management qui a un impact business
Pour avoir un réel impact sur la culture d’entreprise, en tant que levier d’efficacité et de performance, c’est une éducation active au digital qu’il faut mettre en place, pas un plan de formation « touristique » qui permet de se donner bonne conscience sans rien changer au quotidien des personnes formées.
Une éducation active, ça se vit au quotidien : c’est donc en partant des besoins et des motivations des équipes que cette acculturation doit se construire, en lien avec l’activité professionnelle de l’entreprise et sa vision stratégique, et les objectifs de ses équipes.
Ce qui revient à dire que ce sont les dirigeants, et les managers opérationnels, qui doivent être en première ligne de cette acculturation !
Bien sûr que les équipes RH peuvent avoir un rôle à jouer, à mon sens de support, de facilitateur, de coordinateur, mais elles ne peuvent et ne doivent en aucun cas se substituer en matière de leadership aux managers dont c’est le rôle.
La grande difficulté, pour le management, résidant dans la nuance : « se décide » ne signifie pas « se décrète », « s’impose », ou « se copie ». « Se décide » signifie assumer en pleine connaissance de cause un changement de culture qui s’épanouit et se développe généralement par… « le bas » de l’entreprise, c’est-à-dire par les équipes opérationnelles et non par le management.
C’est, pour paraphraser James Bond, une « autorisation de faire, de créer, de changer, d’innover, de décider au quotidien » qui doit être mise en place, et elle ne peut fonctionner que si elle est pleinement décidée, acceptée et assumée par le management au plus haut niveau.
Faites ce que je fais, pas (seulement) ce que je dis : à l’ère du numérique et de la profusion d’outils et de moyens de communication, l’exemplarité et la transmission d’un comportement par capillarité de contact entre humains, managers et managés, reste le moyen le plus sûr, si ce n’est pas le plus facile ou le plus simple, de réellement transformer une culture et une entreprise.